Des dizaines de milliers de Soudanais ont défilé jeudi dans plusieurs villes, dont Khartoum, pour exiger un transfert du pouvoir aux civils, alors qu’un sit-in réclame depuis six jours « un gouvernement militaire » pour sortir le pays du marasme.
Si les défilés se sont déroulés dans le calme dans l’ensemble du pays, 40 personnes ont été blessées ou ont éprouvé des difficultés respiratoires lorsque la police a tiré des grenades lacrymogènes sur un cortège pro-civils aux portes du Parlement, à Omdourman, ville jumelle de Khartoum, a indiqué un comité de médecins proche des manifestants.
Les forces de l’ordre ont utilisé « la force, des balles et du gaz lacrymogène », selon cette source.
A Khartoum et Omdourman, une foule de manifestants a scandé « le peuple a choisi les civils », l’emportant en nombre sur les partisans d’un « gouvernement militaire » qui observent un sit-in depuis le 16 octobre devant le palais présidentiel.
Pour éviter des heurts, les pro-civils se sont gardés d’approcher ce campement.
Depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019, civils et militaires tentent de mener conjointement une difficile transition, mais connaissent des tensions.
– « Quitte le pouvoir ! » –
Craignant sans doute une confrontation, le général Abdel Fattah al-Burhane –à la tête du Conseil de souveraineté, un organe militaro-civil qui chapeaute la transition avec le gouvernement civil– avait insisté mercredi sur « le partenariat entre civils et militaires ».
Mais jeudi, les protestataires l’ont redit: « Burhane, quitte le pouvoir! ». L’autre slogan-phare a été « pas de retour en arrière », c’est-à-dire aux 30 années de dictature Béchir dominées par islamistes et militaires.
Les manifestants pro-armée, eux, ont brandi des portraits du Premier ministre Abdallah Hamdok, un ancien économiste de l’ONU, barrés d’une croix rouge.
« Ce gouvernement n’a rien fait pour les Soudanais », déplore Hamada Abderrahmane, un commerçant de 37 ans.
Des deux côtés, les leaders avaient exhorté leurs partisans à respecter l’autre camp tandis que des responsables étrangers avaient mis en garde contre une escalade dans ce pays, déjà secoué le 21 septembre par une tentative de coup d’Etat.
Pour les militants de la « révolution » de 2019, il s’agissait de montrer, avec ces manifestations, qu’ils peuvent encore tenir la rue.
Aux partisans de l’armée, ils ont montré qu’ils étaient plus nombreux. Et au gouvernement dirigé par M. Hamdok, ils ont réclamé de l’aide pour une population asphyxiée par l’austérité imposée par le Fonds monétaire international (FMI) en échange de l’effacement de la dette du Soudan.
Ces manifestants ont choisi une date symbolique, celle du 57e anniversaire de la première « révolution » ayant renversé un pouvoir militaire au Soudan, pays à l’histoire rythmée par les coups d’Etat.
« On ne veut plus d’un pouvoir militaire et on veut des élections conformément à la déclaration constitutionnelle » signée en 2019 par tous les anti-Béchir, assène à l’AFP Mohamed Ismaïl, militant politique qui défile à Omdourman.
– « Voix entendue » –
M. Hamdok a assuré de son côté que les autorités intérimaires avaient le même but que les manifestants.
Dans une vidéo, il les a salués pour « leur pacifisme et leur attachement à la liberté et à la démocratie ». « Leur voix a été entendue: il n’y aura pas de recul sur les objectifs de la révolution », a-t-il dit, tout en remerciant la police après une journée quasi sans heurt.
Pour beaucoup de manifestants, le sit-in des pro-armée est une machination des militaires pour reprendre le contrôle du pays. Et la manifestation de jeudi a été un moyen de remettre la transition sur les rails, alors que celle-ci doit aboutir in fine à l’établissement d’un pouvoir civil.
Le rassemblement « vise à remettre la présidence du Conseil de souveraineté aux civils », explique à l’AFP Jaafar Hassan, porte-parole des Forces de la liberté et du changement (FLC), l’un des fers de lance de la révolte de 2019.
« Et aussi à intégrer les forces des différents mouvements et milices dans l’armée nationale », poursuit-il, en référence au processus auxquels militaires et civils se sont engagés pour aboutir fin 2023 aux premières élections libres en 30 ans.
Cette intégration dans un pays où les groupes armés sont nombreux est une des pommes de discorde qui entravent la transition.