Ses saillies à caractère sexuel ont été qualifiées de pornographiques mais l’activiste et écrivaine ougandaise Stella Nyanzi n’en démordra pas: le sexe est le moyen le plus efficace – et le plus amusant – de secouer les mentalités et « dire la vérité au pouvoir ».
« J’ai appris très tôt que certains sujets en Ouganda sont vus et revus et (…) la seule façon d’attirer l’attention est de passer par un électrochoc », défend cette femme de 47 ans dans une interview à l’AFP à Kampala.
Beaucoup ont été choqués par les méthodes de Nyanzi, comme lorsqu’elle a montré ses seins lors d’une audience de justice ou qu’elle a dit du président Yoweri Museveni qu’il était « une paire de fesses ».
Mais l’ancienne chercheuse d’université, qui possède un doctorat sur la sexualité en Afrique et compte 300.000 abonnés sur Facebook, n’a aucun regret.
« Nous ne voyons pas ou nous prétendons que nous ne voyons pas ce qu’il se passe dans la société notamment en ce qui concerne les dérives et les violations » des droits par le régime de Yoweri Museveni, affirme-t-elle.
« Dire à un régime violent, jusqu’au-boutiste, brutal, +tu es violent+ et c’est tout, n’a pas autant d’impact que de dire (…) : +va te faire foutre, pénis violeur et agressif de la dictature+. »
L’Ouganda est un régime autoritaire qui a connu le même chef d’Etat depuis 1986. Réprimant l’opposition, l’ancien guerillero est parvenu à empêcher toute alternative politique.
Le défi de cette autorité lui a coûté cher: emprisonnée pour « cyber-harcèlement » en 2019 après avoir posté sur sa page Facebook un poème jugé blasphématoire sur Museveni, elle a aussi vécu une fausse couche après avoir été battue en prison.
Si elle insiste sur le fait que ces préjudices ne sont « pas grand chose », la question personnelle du deuil joue un rôle clé dans sa volonté de faire tomber le président.
Stella Nyanzi a perdu ses deux parents de manière consécutive il y a six ans et tient le gouvernement pour responsable de leur mort tout comme de celle de milliers d’Ougandais qui n’ont pas accès, entre autres services publics, à un système de santé fiable.
– « Insolence radicale » –
Personnalité clivante, Nyanzi s’est attirée les foudres des conservateurs religieux, et même de certaines féministes, qui critiquent son obsession du sexe.
« J’en ai marre des féministes qui me disent pourquoi j’ai tort et pourquoi je ne peux pas faire ci et pourquoi ça est anti-féministe », dit-elle.
« Laissez-moi juste être libre, avoir ma propre pensée et mes propres combats », demande-t-elle, arguant que son approche sans filtre de la sexualité s’ancre dans la culture ougandaise d’avant le christianisme et vise à émanciper les femmes en les encourageant à parler des sujets tabous.
Cette stratégie s’inscrit également dans la culture politique de l' »insolence radicale », qui prend ses racines dans le combat anti-colonial ougandais.
Et tandis que ses comparaisons du régime de Museveni à « un morpion vénérien » lui ont valu le surnom de « femme la plus insolente de l’Ouganda », ses diatribes ont aussi fait d’elle une star des réseaux sociaux à l’étranger.
Les tombereaux de menaces qu’elle reçoit de trolls pro-gouvernement ne l’effraient pas.
« Je ne cherche pas de l’amour et des câlins. Je vais sur les réseaux sociaux de manière très consciente et dans un but très précis: dire la vérité au pouvoir, vérité que nos médias traditionnels ne disent plus ».
De plus, ces commentaires menaçants font pâle figure à côté des risques réels qu’encourent beaucoup d’activistes en Ouganda.
En 2021, Nyanzi a fui un temps au Kenya et bien qu’elle soit depuis rentrée à Kampala, elle n’exclut pas une vie d’exil, afin de protéger ses enfants.
– « Espoir » –
Mais celle qui dit être « une optimiste » n’a pas l’intention de jeter l’éponge pour autant. Début 2021, elle s’est présentée sans succès à la députation.
« L’espoir que (l’Ouganda) puisse changer et devenir meilleur pour la prochaine génération me fait avancer. »
Avec un âge médian de moins de 16 ans, la plupart des Ougandais n’ont pas connu la vie avant Museveni, 77 ans.
En attendant le départ de ce dernier, elle reste sur le qui-vive, armée de son arsenal d’images sans équivoque.
« Ce que je fais n’est pas érotique et n’est pas pornographique. C’est de la rage et l’expression de la rage en utilisant mon corps », conclut-elle.
afp